La peinture de Bruno Moinard semble incarner une qualité d'installation et de texture, non seulement parce que son travail utilise souvent des techniques de collage et d'assemblage pour construire un espace en deux dimensions empreint de magie, mais aussi parce qu'il capture instinctivement la réalité ainsi que la perception et l’émotion personnelles de l’artiste. Cette réflexion panoramique révèle comment Bruno Moinard explore une direction artistique personnelle à travers un langage abstrait, sans être soumis à la recherche du style. Ses différentes séries ne sont jamais destinées à être appréciées ou analysées uniquement pour leurs particularités, mais elles permettent au spectateur de percevoir l'observation fine de l'artiste sur la mémoire, la temporalité et le paysage. La première exposition personnelle de Bruno Moinard en Asie a lieu à Taipei, à Taïwan, et comprend près de cinquante œuvres réalisées entre 2018 et 2023. Cette présentation se déroule en deux segments, dans deux lieux : Symphonie au Louisa Art Center et Éternité à Carte Blanche, et propose un aperçu complet de l'œuvre de l'artiste au cours des dernières années.
Symphonie met en évidence l'amour de Bruno Moinard pour la musique. Jef Haydn, diptyque remarquable présenté dans cette exposition, est né d'un échange chaleureux : un soir, le pianiste Jean-Efflam Bavouzet, un ami cher de Bruno Moinard, appelle ce dernier alors qu’il travaillait la musique de Joseph Haydn. Jean-Efflam Bavouzet, absorbé par la répétition de son récital, et Bruno Moinard, dans son atelier, entament alors une collaboration à distance. C'est donc en écoutant Jean-Efflam Bavouzet interpréter la musique de Haydn que Bruno Moinard a réalisé ce tableau plein de rythme, de vitesse et de spontanéité. Plusieurs œuvres exposées ici témoignent d’une réflexion musicale. Au-delà du caractère apparemment abstrait de leurs disciplines respectives, le peintre et le musicien ont peut-être en commun, surtout, un geste à la fois libre et contrôlé, qui permet au subconscient et à l'action de se déployer. Les œuvres sur papier de Bruno Moinard constituent un autre point fort de l'exposition. La texture du papier, élément essentiel à la pratique de l’artiste, lui offre une grande liberté créative pour expérimenter les techniques de dessin. En travaillant le grain, l'épaisseur et le relief du papier, et en incorporant des techniques telles que le découpage et la déchirure, c’est une sensibilité particulière qu’il invoque par le biais du collage. Il traduit sa juxtaposition d'images en un dialogue tactile entre esthétique et perception, comme s’il assemblait des fragments de mémoire.
Éternité comporte trois aspects : la peinture, l’esquisse architecturale et l’édition de meubles. Cette présentation incarne l'approche stylistique de Bruno Moinard à l'égard de la matérialité et de la couleur, passant de deux à trois dimensions. En parcourant ces composantes, le spectateur peut percevoir le ressenti et la démarche de l'artiste. Les trois disciplines sont essentielles à la pratique créative de Bruno Moinard. En regardant les œuvres Atelier, Clavier, Ciel de paille, Éternité et De la cage, nous avons l'impression de franchir le seuil des souvenirs de Bruno Moinard. Éternité, longtemps accrochée dans le bureau de Bruno Moinard, semble évoquer une abstraction sombre et présente, rappelant l'ombre ou la danse. Composition progressive, presque troublante, généreusement recouverte de peinture, on y trouve une retenue évocatrice d’une œuvre classique. Les œuvres sur papier exposées pour Éternité, telles que Ville, Londres et L'oiseau, sont chargées d'un sentiment d'immersion dans le paysage urbain et de l'agilité des oiseaux. L'habileté du pinceau et de la composition est imprégnée d'une intimité qui rapproche le spectateur de la vie quotidienne de l'artiste, tandis que les déplacements entre la ville et la campagne sont distillés dans un esprit abstrait qui rappelle le courant de conscience.
Nous vivons dans une ère post-Internet saturée de symboles et d’une révolution artistique qui perdure depuis le siècle dernier. Dans ce paysage artistique en évolution, l'approche d'un tableau se résume souvent à la question de l’intérêt qu’il représente. Pourtant, l'exploration de l'œuvre de Bruno Moinard incite à reconsidérer la peinture comme l'alliance du travail manuel et de l'activité mentale, soit l’essence classique intrinsèque de cette discipline. Le spectateur est invité à suivre les différents éléments qui façonnent l'artiste, notamment le terroir normand et sa compréhension du processus artistique. Dans la pratique picturale de Bruno Moinard, l'abstraction devient un langage créatif qui associe le geste, la spontanéité, la légèreté, le mélange aléatoire des couleurs, l'épaisseur, la lumière et les matières. Ce qui est unique dans la réalisation d'un tableau, c'est que l'artiste préserve la maladresse, l'imperfection et la nervosité de l'œuvre qui touchent le cœur. C’est, en définitive, l'échange et le dialogue indescriptibles entre le tangible et l'intangible que la peinture de Bruno Moinard tente d’exprimer.